vendredi 21 décembre 2012

absinthe. page 167. Vive l'anarchie !

Les souverains d'Europe, hantés par le spectre décapité de Louis, troublés par l'effrondrement des barons d'empire, à peine rassurés par la république bourgeoise, redoutaient la turbulente France.
Et puis, les échos de la Commune étaient trop proches.
Du faubourg Saint-Germain à la Chaussée d'Antin, mais aussi de Clignancourt à Charonne, on rappelait les débordements de la Commune, on parlait de Courbet, le symbolique démolisseur de la colle Vendôme, terrible buveur absorbant ses trente bocks par soirée et prenant son absinthe renforcée de vin blanc !
Ah la Commune, à laquelle les anarchistes se référaient, comme elle pesa longtemps sur Paris !

Robert Cassagnau, Vive l'anarchie !, France-Empire, 1973.

Gustave Courbet, tel que l'on peut le voire après l'absorption de trois verres d'absinthe.
 
P-S : dans ce livre, Robert Cassagnau retrace l'histoire du mouvement libertaire, à travers les grandes figures des théoriciens (Bakounine, Stirner, Louise Michel...), des activistes (poseurs de bombes, nihilistes russes...), des pays (Espagne, Russie, Italie)...
 

mercredi 14 novembre 2012

absinthe. page 26. Mineur de fond

On buvait des chopes de bière, des "quatre au pot" à 2 sous (pot de 2 litres) que la patronne allait tirer au tonneau à la cave. La diversité des boissons, dans ces cafés de cité, n'était pas la même que dans ceux de la ville où on pouvait prendre une absinthe ou du vin, ici, c'était soit une bière soit, la chope ne passant plus, un "chass'bière" : le "g'nièfe"...
Contrairement à ce qu'ont prétendu certains auteurs, il y avait peu d'ivrognes. "In faisot guinsse al ducasse, pis al Sainte-Barbe, et après in d'avot qui faisottent el'poirier !" me disait mon père. C'est-à-dire que l'on prenait, en ce temps-là, une bonne cuite à la ducasse de septembre et parfois de mai, puis à la Sainte-Barbe - qui était surtout l'occasion de se retrouver en famille autour du meilleur lapin et de boire exceptionnellement du vin -, mais après on ne pouvait plus recommencer, car on n'avait plus d'argent.

Augustin Viseux, Mineur de fond, Terre humaine-Plon, 1991.



Augustin Viseux (1909-1999), fils et petit-fils de mineur, fut lui-même mineur avant de gravir les échelons et devenir ingénieur.
Il a à la demande de Jean Malaurie, directeur de la collection Terre Humaine, rédiger un livre où il raconte sa vie et son expérience de mineur. Douze années lui furent nécessaires pour s'acquitter de cette tâche.

mardi 2 octobre 2012

absinthe. page 112. La solitude du manager

Le détective détermine au flair ceux qui peuvent être des flics en civil. Entre ces derniers et tous ceux d'entre nous qui portent un flic en eux, qui n'est pas de la police ici ? Deux pédés débutants se caressent sous un miroir moderniste qui réfléchit la tendresse de leur nuque. Dix-sept filles, déguisées en fugueuses fumeuses de H, arrivent tout droit de chez elles et commandent au garçon de l'eau d'Evian. Les deux cent trente clients de l'Opéra se donnent en spectacle sur leur île en cinémascope, au-dehors des passants timides badauds ou dragueurs les regardent. Les garçons se frayent un passage parmi les autochtones, tels des serpents blancs et noirs, ils portent sur leurs mains aimantées des plateaux en laiton, jadis rongés par l'absinthe qui présidait aux folles nuits de ces messieurs et de leurs maîtresses vêtues de moire.

Manuel Vazquez Montalban, La solitude du manager, 10-18, 1988. 
(traduction et préface par Michèle Gazier)



Manuel Vázquez Montalbán (1939-2003)


La solitude du manager est la troisième apparition de Pepe Carvalho, détective privé à Barcelone, gastronome, assisté de Biscuter, homme à tout faire et cuisinier rencontré dans les prisons de Lleida, et de Charo, son amie, prostituée indépendante à Barcelone, pyromane allumant sa cheminée en toute saison avec un bon livre de sa bibliothèque...


mardi 24 juillet 2012

absinthe. page 604. Mort à crédit

"Son rêve Popaul, c'était l'absinthe ; sa mercière, elle lui en versait un petit apéro chaque fois qu'il rentrait et qu'il avait bien liquidé. Ça lui donnait du courage. Il fumait du tabac de la troupe, on en faisait nos cigarettes nous-mêmes en papier journaux... Ça le dégoutait pas de sucer, il était cochon. Tous les hommes qu'on rencontrait dans la rue, on pariait ensemble comment qu'ils devaient l'avoir grosse. Ma mère pouvait pas quitter derrière son fourbi, surtout dans un quartier pareil. Je me débinais de plus ne plus..."


Louis-Ferdinand Céline, Mort à crédit, Gallimard (La Pléiade), 1988.


Les éditions Frémeaux ont publié il y a quelques années un double CD - Anthologie Céline - avec Céline, Michel Simon, Arletty, Pierre Brasseur, Albert Zbinden et Louis Pauwells, lisant des extraits de Mort à crédit et de Voyage au bout de la nuit.
écouter ICI Arletty lisant un extrait du roman Mort à crédit.

jeudi 5 avril 2012

absinthe. page 20. Sous le volcan

"Il fallait très attentivement tendre l'oreille comme faisait à présent M. Laruelle pour pouvoir distinguer une faible rumeur confuse - audible au milieu des infimes chuchotements et tintinnabulements des pénitents, avec quoi pourtant elle se confondait - tenant du chant en ses creux et ses vagues, qu'accompagnait un martèlement régulier - les cris et les pétards de la fiesta en plein boom depuis l'aube.
M. Laruelle se versa un nouvel anis. Cela lui rappelait l'absinthe et c'est pourquoi il en buvait. Son visage était devenu singulièrement cramoisi cependant qu'un léger frisson agitait sa main plaquée contre la bouteille dont l'étiquette libéra un bondissant démon rubicond lui brandissant une fourche menaçante sous le nez."

Malcolm Lowry, Sous le volcan, Grasset, 1987.
(traduit de l'anglais par Jacques Darras)




















Malcolm Lowry (1909-1957), écrivain anglais
mit en chantier Under the Volcano dès 1936
le livre sera publié en 1947.

jeudi 19 janvier 2012

absinthe. page 76. La reine de la nuit

Marie-Josée a pris une assiette de raisins sur une table, avant de m'entraîner à l'écart. Un garçon barbu, vêtu d'un caleçon, s'est approché d'elle. Ils se sont retirés pour chuchoter, en me regardant de travers. 
Assise sur un banc, j'ai mangé une poignée de raisins. Elle est revenue s'asseoir à côté de moi. "Si vous désirez enlever vos vêtements, a-t-elle suggéré, faites donc." J'ai reniflé. "Vous désapprouvez cette odeur ?" 
- Ça sent comme une locomotive. 
- C'est du kif, vous voulez en fumer ? 
- Non. 
- Que voulez-vous ? 
- Simplement rester assisse à côté de vous. 
Ses yeux absinthe se sont à nouveau illuminés. Quelle merveille ! Sa compagnie m'électrisait ! 
 

Marc Behm, La Reine de la nuit, Crapule, 1989 ; Rivages/Noir, 1992.

(traduction Nathalie Godard) 


Marc Behm (1925-2007) 
Acteur, puis scénariste et enfin la cinquantaine venue romancier. 
Ses romans noirs sont publiés notamment chez Rivages/Noir
 
Annexes : 
- on apprend tardivement sa mort à libé (article de Sabrina Champenois, plus de trois mois après son décès !) 
- son CV et sa bibliographie sur le site de l'agent Catherine Winckelmuller - 1 livre 1 jour (Olivier Barrot) à propos de Trouille publié en 1993 
- Marc Behm raconte les origines de Mortelle Randonnée, d'abord scénario puis roman, puis adaptation au cinéma par Michel et Jacques Audiard pour Claude Miller (extraits de Carnets noirs, tome 2, La Huit Production, réalisation d'Olivier Bourbeillon) 
- sa carrière sur le site 13eme rue