vendredi 1 février 2013

absinthe. page 30. Choléra

Plus tard, Alice lut Francis Jammes et Jean-Jacques Rousseau. Ce sont deux bons auteurs. Elle les préférait en veau en tranches saignantes. A cette époque, elle portait des robes couleur d'absinthe et des bas chrysanthème. Elle élevait des canards et un canari. Chaque soir, elle enivrait le canari à l'eau de Cologne.
Au bout de trois semaines d'ivresse, le canari, un peu plus qu'ivre mort, mourut. Un matin nous le trouvâmes tout roide dans sa cage, lisse et jaune, pareil à un cadavre d'enfant.
Alice l'emporta dans le jardin. Elle choisit la meilleure allée, au sable le plus fin, à l'ombre la plus lourde. Elle déposa le canari au milieu de l'allée. Puis elle déchira sa robe, s'ébouriffa les cheveux, se mit à pleurer à grands coups, et se coucha près de l'oiseau.
- Alice, que fais-tu ?
Elle me répondit, d'un air pincé :
- Je fais la morte !

Joseph Delteil, Choléra, Les Cahiers Rouges, Grasset, 1961.


 Joseph Delteil (1894 - 1978)

Annexes : 
- Un portrait extrait des Archives du XX° siècle sur le site de l'INA (comprend six parties).
 - Une page sur le site Gens de Montpellier ; une autre, sur le site Terres d'écrivains