Plus tard, Alice lut Francis Jammes et
Jean-Jacques Rousseau. Ce sont deux bons auteurs. Elle les préférait
en veau en tranches saignantes. A cette époque, elle portait des
robes couleur d'absinthe et des bas chrysanthème. Elle élevait des
canards et un canari. Chaque soir, elle enivrait le canari à l'eau
de Cologne.
Au bout de trois semaines d'ivresse, le
canari, un peu plus qu'ivre mort, mourut. Un matin nous le trouvâmes
tout roide dans sa cage, lisse et jaune, pareil à un cadavre
d'enfant.
Alice l'emporta dans le jardin. Elle
choisit la meilleure allée, au sable le plus fin, à l'ombre la plus
lourde. Elle déposa le canari au milieu de l'allée. Puis elle
déchira sa robe, s'ébouriffa les cheveux, se mit à pleurer à
grands coups, et se coucha près de l'oiseau.
- Alice, que fais-tu ?
Elle me répondit, d'un air pincé :
- Je fais la morte !
Joseph Delteil, Choléra, Les Cahiers
Rouges, Grasset, 1961.
Joseph Delteil (1894 - 1978)
Annexes :
- Un portrait extrait des Archives du XX° siècle sur le site de l'INA (comprend six parties).
- Une page sur le site Gens de Montpellier ; une autre, sur le site Terres d'écrivains