mercredi 18 septembre 2013

absinthe. page 41. Absinthe

Mon père m'apprit que le distillateur des collines ne savait pas écrire. J'en fus étonné ; je me vexai. Comment, José, ce savant, ne savait pas écrire ? Je pensais à mes propres cahiers où je calligraphiais les majuscules.
Je voyais José parmi les bulbes où naissait l'absinthe : un magicien. Un doute me prit. N'y avait-il pas ces vieux grimoires qu'il lisait avec application ? Ne déchiffrait-il pas les formules de ses liqueurs ? José aurait su lire mais pas écrire ? Etrange élève !
Je crois bien que c'était vrai. José parlait seul, à voix haute, dans son laboratoire. Je ne le comprenais pas :
- José, qu'est-ce que tu dis ?
- Rien, petiot. Je récite.
Son érudition troublait les habitants des collines ; José se plaisait à dissimulait la vérité. Son mas portait le nom étrange de Fugit amor.

Christophe Bataille, Absinthe, Arléa, 1994.



 
Christophe Bataille (1971), est aussi éditeur chez Grasset.
 
annexes :
interview de C. B. pour le Monde des Livres, le Figaro Littéraire