mercredi 13 janvier 2016

absinthe. page 166. Une plaie ouverte

Manon avait longtemps espéré Dana. Une lettre, un message, un signe. Elle s'était résignée. Les années avaient fait le reste.
Marceau savait la patience. Il lui fallait Manon, mais il attendait. Il l'avait possédée sur le ventre de cent putains. Toujours plu sbasses. Celles des maisons huppées comme celles des bordels à quinquet, des chambres d'abattage et des bouics à bidet. Les passes furtives, les bouches hâtives, les saillies sous les porches. Il avait tout pris. Les brûlantes, les glacées, les absentes, les écroulées, les buveuses d'absinthe, les éthéromanes, les piquées et les poivrardes, les syphilitiques et les tubardes. Et Manon dans chacune d'elles. Avilie, souillée. Il rentrait au matin, écoeuré, la mort dans l'âme, sans comprendre qu'il se punissait.
Pour descendre toujours, il la prenait en songe davant leurs cafés, à même la table, dans les éclats de porcelaine. Son reflet dans les miroirs ne laissant rien paraître de ses pensées.
Un soir cappucino, elle était venue d'elle-même. Distante. Par lassitude, pour trouver l'oubli ou tromper son propre corps. Elle avait peu donné. Se gardant de recevoir. Pas plus offerte à Marceau qu'aux mauvais peintres. Elle en lui laissait pas l'illusion qu'il l'avait eu.

Patrick Pécherot, Une plaie ouverte, Gallimard, collection Série noire, 2015.


Patrick Pécherot, né en 1953.
( photo Catherine Hélie)
 
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