vendredi 7 octobre 2011

absinthe. page 93. Raconte pas ta vie

D'autorité, il me charcute. Sans anesthésie. Même pas locale. Cette espèce de dingue m'enfonce son scalpel dans l'aine. Je pousse un hurlement d'égorgé. La lame ne coupe pas la chair, elle la déchire, l'arrache à contre-fil. Je tombe dans les pommes. Tout cela sous les yeux intéressés du commandant de l'hôpital, un vieux à l'air bonasse dont j'apprendrai qu'ayant abusé d'absinthe, il a perdu sa clientèle et n'a pu trouver d'emploi ailleurs que dans l'armée. C'était, paraît-il, un excellent chirurgien. Pour l'instant, ça me fait une belle jambe.

Marcel Duhamel, Raconte pas ta vie, Mercure de France, 1972.







Marcel Duhamel (1900-1977)
En lisant ces souvenirs, on se rend compte que celui-ci a été bien plus que l'inventeur de vous savez quoi. Membre du Groupe Octobre, acteur, comédien, sans parler de ces autres carrières moins artistiques dans hostellerie notamment ou encore membre d'une communauté habitant rue du château et qu'il évoque dans ce document vidéo.

samedi 3 septembre 2011

absinthe. page 246. La moisson d'hiver

" Il avait beau être grand buveur et savoir tenir la dose, il ne pouvait pas durer bien longtemps avec ce qu'il s'envoyait, des poisons frelatés, du vitriol d'alambic à vous dissoudre le cerveau comme un sucre dans de la tisane bouillante. De la gnôle comme ça, on en refilait aux soldats, en 14, pour les engourdir au moment de sortir de la tranchée. L'absinthe pure, à côté, c'était du sirop d'orgeat. "



Serge Brussolo, La moisson d'hiver, Denoël, 1995.


Annexes
Serge Brussolo (1951)
sur l'auteur : un site officiel et un non-officiel

mercredi 8 juin 2011

absinthe. page 11. Histoire d'eaux

" La nausée reprit Sentinelle. Son petit déjeuner, un mélange de café et d'absinthe, remonta si vite qu'il lui heurta le palais et les dents. Il serra fortement les lèvres et ravala les remugles. Il avait, pour cette fois, sauvé sa chemise des traînées de bave sucrée et verdâtre. Son corps était rouillé. Il n'avait jamais été capable du moindre effort physique. Seule la difficulté de trouver un fiacre, couplée à son impécuniosité, l'incitait, chaque matin, à marcher de son domicile jusqu'au Jardin zoologique. "

Janvier 1910, crue de la Seine


Emmanuel Pierrat, Histoire d'eaux, Pocket, 2004.


Annexe :
L'auteur, avocat et écrivain, est aussi éditeur (Éditions Cartouche). Histoire d'eaux (Dilettante, 2002) était son premier essai comme romancier.

jeudi 5 mai 2011

absinthe. page 172. Monsieur Malaussène

Elle alla chercher deux verres, et le rhum, et le citron, et la glace, et l'absinthe, et le papier à cigarettes, et le dodu carré de shit, son "p'tit bout de chocolat".
Sorti tout fumant de la douche, Titus déclara :
-
Il faut jeter ça.
Il désignait les vêtements sanglants, morts en tas sur le parquet.
-
Tout de suite, et on va faire dans le soyeux, tu veux ?
Elle avait résolu de le calmer en lui déposant trois bons salaires de fringues sur les épaules ; non qu'il fût particulièrement coquet, mais ces étoffes à patronymes japonais qui vous faisaient comme une peau sur la peau, ça l'apaisait, Titus.



Daniel Pennac, Monsieur Malaussène, Gallimard, 1995.

Annexe :
Le roman fait parti de la Saga Malaussène, suite de six romans, depuis Au bonheur des ogres (1985) à Aux fruits de la passion (1999).
Le héros de la sage, Benjamin Malaussène a fait l'objet d'un ouvrage signé Nicolas Lozzi, Les Nombreuses vies de Malaussène, aux éditions Les moutons électriques (collection la bibliothèque rouge, collection célébrant les grandes figures de la littérature populaire).

Couverture de Letizia Goffi

dimanche 3 avril 2011

absinthe. page 13. Blasons d'un corps masculin

" Il y avait donc d'abord une douceur de laine, au moment où elle caressait le lobe, puis le piquant barbelé des poils raides, et enfin, quand elle se mettait à lécher le conduit, l'amertume.
Elle laissait fondre patiemment sur sa langue, les petits morceaux, caustiques, de cérumen. Leur goût, jaune d'absinthe, pointu et âpre comme la gentiane, toute la soirée la faisait saliver. Mais l'aigreur goûtée dans l'oreille, elle l'appréciait comme une bière ou une liqueur âcre et mordante.

D'ailleurs, la cartilage a une consistance d'olive verte."

Régine Detambel, Blasons d'un corps masculin, via voltaire, 1996.


Annexes :
Régine Detambel (1963) : le site de l'écrivain
Le texte est disponible au format numérique sur le site publie.net
La revue Le matricule des anges lui a consacré un dossier dont
l'entretien est disponible sur leur site (n°17, 1996).


jeudi 3 mars 2011

absinthe. page 189. Là-bas

Il alluma sa lanterne et, en descendant l'escalier, comme Durtal se plaignait du froid, des Hermies se mit à rire : " Si ta famille avait connu les secrets magiques des plantes, tu ne grelotterais pas ainsi, fit-il. L'on apprenait, en effet, au XVI° siècle, qu'un enfant pouvait n'avoir ni chaud, ni froid, pendant toute sa vie, si on lui avait frotté les mains avec du jus d'absinthe, avant que la douzième année de sa vie se fût écoulée. C'est, tu le vois, une recette parfumée, moins dangereuse que celles dont abuse le chanoine Docre. "

Joris-Karl Huysmans, Là-bas, Livre de Poche, 1966.


Joris-Karl Huysmans (1848-1907)


vendredi 4 février 2011

absinthe. page 315. Texaco

"L'En-ville a des odeurs de graisses que l'on met aux fenêtres, des odeurs de serrures et de clés, des odeurs d'encre vieillie dans du papier et des odeurs de chaises. Elle sent la boue, elle sent la tôle, la maçonnerie qui sèche, elle sent la toile et le carton et l'odeur des monnaies qui s'élèvent des tiroirs, elle sent les solitudes et les marchandises folles qui amènent avec elles des fragrances de mondes loin. Elle sent l'eau de café et la farine dorée, le Cinzano des fêtes et l'absinthe matinale, elle sent la vie qui s'exhale des marchés du samedi et la mort des écailles sur les rives du canal, elle aspire l'odeur des dalots immobiles où de gros crabes mâchent des oeufs de moustiques..."

Patrick Chamoiseau, Texaco, Gallimard, 1992.


Annexe
Patrick Chamoiseau (1953) fait notamment parti des neuf intellectuels antillais signatèrent en 2009, du Manifeste pour les "produits" de haute nécessité", avec Edouard Glissant dont on a appris le décès hier.
Sur le site auteurs.contemporain.info, une page est consacrée à Patrick Chamoiseau ; mais la bibliographie s'y arrête en 2007.

samedi 1 janvier 2011

absinthe. page 137. L'ogre

"En fait je m'appelle Denise. Mais mon père m'aimait comme un fou. Il buvait, mon père. Il était couvreur. C'était à Fribourg, avant la guerre. Il me prenait sur son vélo, on allait faire des tours à la campagne, on s'arrêtait dans les cafés, il rebuvait des pommes, des absinthes, on avait de l'absinthe comme on voulait, en ce temps-là. Mon père m'appelait sa bête à bon dieu, sa pernette, il disait en riant à ses copains que j'étais son seul amour, sa consolation et sa grâce."


Jacques Chessex, L'ogre, Grasset, 1973.




Jacques Chessex (1934-2009) était un écrivain suisse de langue française. Il fut également peintre.