mardi 14 janvier 2014

absinthe. page 22. Travaux

Mon père avec moi était plus tendre. J'étais le dernier. Quand, le dimanche matin, il rentrait du jardin, dans un panier, sur sa brouette, une feuille de choux était pleine de fraises que ses grosses mains me tendaient. Les jours de paye, c'étaient des cacahuètes ou des oranges qu'il apportait. Jusqu'à sept ans il me fit danser sur son ventre dans le grand lit des parents, les dimanches matin en hiver, quand il pouvait se lever plus tard. Il me disait des mots d'arabe, me promettait d'écrire à Abd el-Kader qui m'enverrait un cheval pommelé. A midi, quand le repas était prêt, je le retrouvais endimanché, sortant de chez le coiffeur, rasé de frais, les moustaches en pointe, au café, devant une absinthe. Je buvais légèrement dans son verre en attendant un verre de grenadine.

Georges Navel, Travaux, Folio, 2004.




Georges Navel (1904-1993)
Photographie de Roger Parry
Annexes : 
- Travaux, dans la revue Le matricule des anges
- Hommage dans le Monde Libertaire