dimanche 3 novembre 2013

absinthe. page 132. Le temps des cerises

Charpaillez nota sur son carnet : "Y a-t-il un quelconque rapport entre la fauvette de huit heures vingt-cinq et le perroquet au teint jaune de huit trente-huit ?"
Il ajouta d'une écriture précipitée : "Peu probable que leur lien, s'il en existe un quleconque, soit d'ordre sentimental, l'un étant physiquement le repoussoir de l'autre."
Il resta songeur, essayant d'imaginer la frimousse gracieuse de la grisette, et regarda vers les étages.
Une exaltation comparable à une liqueur d'absinthe gagna son cerveau enfiévré. "Mortendieu ! essaya de raisonner l'ancien sapeur du Chemin des Dames, je connais la hauteur des arbres et la force des hommes, mais du diable si je n 'ai pas mis mon grand nez dans le marécage conspirateur d'une belle bande de rastaquouères !"

Franck & Vautrin, Le temps des cerises, Fayard, 1990.



mercredi 2 octobre 2013

absinthe. page 213. V.

Dans les cercles fréquentés par les espions italiens, la dernière bonne histoire était celle de l'Anglais qui avait fait cocu son ami transalpin. Le mari, en rentrant chez lui un soir, surprend le couple adultère en flagrant délit et au lit. Fou de colère, il tire son pistolet, pressé de venger son honneur. Quand l'Anglais l'arrête du geste : "Allons, mon vieux, dit-il d'un ton protecteur, pas de dissensions dans la troupe, que diable ! Songez aux répercussions que cela pourrait avoir sur la Quadruple-Alliance."
L'auteur de cette parabole était un nommé Ferrante, buveur d'absinthe et terreur des vierges. Il essayait de se faire pousser la barbe. Il détestait la politique. Comme quelques milliers de jeunes gens à Florence, il se proclamait néo-machiavélien. Il considérait les choses de loin, n'ayant que deux articles de foi : a) le service étranger, en Italie, est irrémédiablement corrompu et abruti, et b) quelqu'un devrait se décider à assassiner Umberto 1er.

Thomas Pynchon, V., éditions du Seuil, 1985.
(traduit de l'américain par Minnie Danzas)





Thomas Pynchon (1937)
Lorsqu'on l'interrogea sur sa nature recluse, Thomas Pynchon répondit : « Je crois que reclus est un mot de code utilisé par les journalistes et qui signifie qui n'aime pas parler aux reporters ».
Qu'on laisse donc tranquille Thomas Pynchon si c'est son souhait !

mercredi 18 septembre 2013

absinthe. page 41. Absinthe

Mon père m'apprit que le distillateur des collines ne savait pas écrire. J'en fus étonné ; je me vexai. Comment, José, ce savant, ne savait pas écrire ? Je pensais à mes propres cahiers où je calligraphiais les majuscules.
Je voyais José parmi les bulbes où naissait l'absinthe : un magicien. Un doute me prit. N'y avait-il pas ces vieux grimoires qu'il lisait avec application ? Ne déchiffrait-il pas les formules de ses liqueurs ? José aurait su lire mais pas écrire ? Etrange élève !
Je crois bien que c'était vrai. José parlait seul, à voix haute, dans son laboratoire. Je ne le comprenais pas :
- José, qu'est-ce que tu dis ?
- Rien, petiot. Je récite.
Son érudition troublait les habitants des collines ; José se plaisait à dissimulait la vérité. Son mas portait le nom étrange de Fugit amor.

Christophe Bataille, Absinthe, Arléa, 1994.



 
Christophe Bataille (1971), est aussi éditeur chez Grasset.
 
annexes :
interview de C. B. pour le Monde des Livres, le Figaro Littéraire

 

mardi 20 août 2013

absinthe. page 114. Histoire de ma vie

En compagnie d'autres membres de la troupe, je passais de temps en temps une nuit à faire la fête dans les bordels et à me livrer à toutes les frasques propres à la jeunesse. Un soir, après avoir bu plusieurs absinthes, je commençai à me battre avec un ancien boxeur professionnel poids léger, du nom d'Ernie Stone. La bagarre commença dans un restaurant et, lorsque les garçons et la police nous eurent séparés, il me dit : "Je te retrouverai à l'hôtel", où nous étions tous les deux descendus. Sa chambre était au-dessus de la mienne, et, à quatre heures du matin, je rentrai en tanguant et allai frapper à sa porte.
- Entre, dit-il rapidement, et enlève tes chaussures pour que nous ne fassions pas de bruit.
Sans échanger un mot, nous nous mîmes torse nu, puis nous nous plantâmes l'un devant l'autre. Nous frappâmes et esquivâmes pendant ce qui me parut un temps interminable. A plusieurs reprises, il me frappa droit au menton, mais cela ne me fit aucun effet.
- Je croyais que tu avais du punch, ricanai-je.

Charles Chaplin, Histoire de ma vie, Robert Laffont, 1964.
(traduit de l'anglais par Jean Rosenthal)





C'est en 1909 que Charles Chaplin découvrira Paris. La compagnie Karno pour laquelle il joue, fut engagée au Folies-Bergères pour un mois.

mercredi 10 juillet 2013

absinthe. page 137. Chronique d'une mort annoncée

Le colonel Aponte, que les rumeurs préoccupaient, rendit visite aux Arabes, famille par famille, et dans cette circonstance au moins en tira une conclusion valable. Il les trouva indécis et tristes devant leurs autels en deuil ; et si certains pleuraient à grands cris, assis par terre, aucun ne couvait d'intentions vengeresses. Les réactions du matin avaient surgi dans le feu du crime et les protagonistes eux-mêmes reconnurent qu'en aucun cas ils ne seraient allés plus loin que les coups. Mieux : ce fut Soussémé Abd-Allah, la matrone centenaire, qui prescrivit l'infusion miraculeuse de passiflore et d'absinthe mûre qui coupa net la dysenterie de Pablo Vicario en même temps qu'elle libéra le jet fleuri de son jumeau.

Gabriel Garcia Marquez, Chronique d'une mort annoncée, Grasset, 1981.
(tradut de l'espagnol par Claude Couffon)

Gabriel Garcia Marquez (1927)
Oeuvres publiés en France par Grasset,
et disponible en brochés et en poche.

vendredi 7 juin 2013

absinthe. page 228. Alexandra Alpha

A propos d'une information quelconque, Sophia évoquait les frères Montero, saltimbanques depuis 1931, les seuls artistes au monde à présenter le cochon doré avec des ailes en paillettes. L'un des deux était mort dans l'Oural, dévoré par un ours à anneau, dit-elle ; chaque génération des Montero était marquée par des épisodes plus dramatiques. Comme elle en était aux clairs de lune de surprise, Sophia Bonifrates, pour sceller la description, commanda une vodka à la menthe, qui était un mélange de Maïakovski et de Rimbaud et formidablement créatif, dit-elle en riant. Opus Night fit la moue : De la menthe ? Et Sophia : Pourquoi, ça ne se fait pas ? Nuno, qui connaissait bien Sebastiao Opus Night, voyait clairement que, pour lui, Rimbaud ne pouvait sentir que l'absinthe - si toutefois Opus avait jamais entendu parler de Rimbaud, ajoutons-le.

José Cardoso Pires, Alexandra Alpha, Gallimard, du monde entier, 1991.
(traduit du portugais par Michel Laban)




 José Cardoso Pires (1925-1998)

mercredi 6 mars 2013

absinthe. page 13. Jésus-la-Caille

De cette heure, la Caille tirait une sensualité fervente. L'odeur de l'absinthe devant les bars le grisait presque. Il s'en allait, cambré, les yeux brillants, la bouche frottée de rouge, et toute son allure exprimait la joie nerveuse qu'il avait à se sentir jeune, amoureux, fringant et désirable.
Mais, ce soir, devant la photographie du prisonnier, une détresse d'enfant l'accablait jusqu'au désespoir... De l'impasse où se trouvait l'entrée de l'hôtel, montait un chant d'accordéon. C’était l'aveugle, un Italien qu'une pauvresse guidait à travers Montmartre. L’aveugle jouait des romances et des airs de son pays et rien n’était  plus émouvant que tous les visages exténués qui formaient cercle autour de lui. L'aveugle jouait avec des sursauts du corps entier ; quelquefois - à bout de forces - il rejetait la tête en arrière et il était horrible de voir, sous ses paupières, rouler deux convulsives prunelles sanglantes.

Francis Carco, Jésus-la-Caille, Robert Laffont , Bouquins, 2004.




Francis Carco (1886-1958)


vendredi 1 février 2013

absinthe. page 30. Choléra

Plus tard, Alice lut Francis Jammes et Jean-Jacques Rousseau. Ce sont deux bons auteurs. Elle les préférait en veau en tranches saignantes. A cette époque, elle portait des robes couleur d'absinthe et des bas chrysanthème. Elle élevait des canards et un canari. Chaque soir, elle enivrait le canari à l'eau de Cologne.
Au bout de trois semaines d'ivresse, le canari, un peu plus qu'ivre mort, mourut. Un matin nous le trouvâmes tout roide dans sa cage, lisse et jaune, pareil à un cadavre d'enfant.
Alice l'emporta dans le jardin. Elle choisit la meilleure allée, au sable le plus fin, à l'ombre la plus lourde. Elle déposa le canari au milieu de l'allée. Puis elle déchira sa robe, s'ébouriffa les cheveux, se mit à pleurer à grands coups, et se coucha près de l'oiseau.
- Alice, que fais-tu ?
Elle me répondit, d'un air pincé :
- Je fais la morte !

Joseph Delteil, Choléra, Les Cahiers Rouges, Grasset, 1961.


 Joseph Delteil (1894 - 1978)

Annexes : 
- Un portrait extrait des Archives du XX° siècle sur le site de l'INA (comprend six parties).
 - Une page sur le site Gens de Montpellier ; une autre, sur le site Terres d'écrivains









jeudi 10 janvier 2013

absinthe. page 75. Chien galeux

Deux hommes et une vieille dame occupaient l'autre extrémité du comptoir. Sur la première marche de l'escalier qui descendait aux toilettes, un type affalé marmonnait tout seul que son propriétaire travaillait pour le FBI. Le FBI avait placé des micros et des caméras non seulement chez lui mais partout où il allait. Ils le précédaient, anticipant nuit et jour chacun de ses mouvements.
- Jamais pris de biture à l'absinthe ?
- Non, j'ai raté ça, avoua Moll.
- Sérieuse perturbation des sens.
- J'ai traversé une période de vin lamentable, il y a quelques années. Cela avait commencé à Zermatt, et j'ai laissé courir beaucoup trop longtemps, à beaucoup trop d'endroits.
- Ça ne vaut pas un caribou, dit Selvy.

Don DeLillo, Chien galeux, livre de poche, 2000.
(traduit de l'américain par Marianne Véron)

Don DeLillo (1936)
Oeuvres publiés en France par Actes Sud, et disponible en brochés et en poche.
 Annexes :
- entretiens : en furetant on en trouve plusieurs, et pour exemples sur les site des Inrocks et de Slate