Isidore est attablé près d'un poêle, le cou et le bas de la figure mangés par une grosse écharpe bleue. Il relit, un crayon à la main, une liasse de feuilles noircies d'écriture.
- Henri ! Quelle surprise ! Comment vas-tu ? Cette blessure ...?
Ils s'embrassent par-dessus la table. Comme Pujols s'attarde un peu dans le cou du poète, Isidore le repousse doucement et zyeute en douce du côté du comptoir, où un serveur cause à mi-voix avec un client.
- Tu prends quelque chose ? Je suis en fonds. Monsieur Darasse m'a versé hier l'obole de mon père. Je vais pouvoir porter mes deux premières parties à l'imprimeur.
Pujols fait un signe au garçon et lui commande une absinthe.
- C'est ton traité du renoncement que tu veux faire imprimer ? Tu persistes à te déclarer vaincu sans avoir livré bataille ?
Isidore secoue la tête et range ses feuillets dans sa chemise en carton.
- Nous en avons déjà parlé d'abondance. Nous ne tomberons pas d'accord là-dessus. A quoi bon ?
On apporte l'absinthe, et Pujols s'absorbe un moment dans le filtrage méticuleux de la liqueur à travers le morceau de sucre.
Hervé Le Corre, L'homme aux lèvres de saphir, Rivages/Noir, 2004.
Hervé Le Corre (1955)
Ouvrages publiés à la Série Noire, et depuis Cet homme aux lèvres de saphir, chez Rivages.
ps : Isidore, c'est bien sûr, le comte de Lautréamont !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire