jeudi 23 octobre 2014

absinthe. page 240. La condition pavillonnaire

A ton retour, tu relisais tes notes, ouvrais le dictionnaire et attendais que vienne la bonne association entre les mots. Au début, cela t'excita, tutoyer la Beauté. Mais après cinq poèmes reliés en un petit livret, tu trouvas que c'était un piètre usage de ta nouvelle liberté que de rester assise des heures à un bureau. Il était déjà tard. Tu cliquais sur Internet pour voir la météo. Relevais ta boîte mail. Parce que le mot tant attendu, le mot charmant, le mot précis qui ferait résonner la musique des phrases tout en s'articulant à une idée nouvelle, ce mot-là ne se montrait jamais. Dans ton anthologie Gallimard, tu voyais les grands écrivains parvenir à cette harmonie mystérieuse, leurs phrases se dirigeant à pas tranquilles vers leur fin, provoquant une émotion sûre, sans que rien de laborieux n'apparaisse. Tandis que toi, tes poèmes boitaient, ils étaient heurtés, sans facilité. Évidemment, dans le temps, tous ces bonhommes maudits, c'était l'absinthe qui les guidait, non les heures des repas à préparer.

Sophie Divry, La condition pavillonnaire, Noir sur blanc, 2014.


Sophie Divry, née en 1979, dont La condition pavillonnaire est le troisième livre publié.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire